L'artisanat du balai de paille à Caderousse
Pourquoi ?
Si les balais existent depuis l’antiquité sous différentes formes, la fabrication du balai de paille à Caderousse tient à plusieurs raisons. Certaines industries ont périclité comme la culture de la garance ou celle du ver à soie et la culture dans la basse vallée du Rhône s’est trouvée confrontée à l’aléa des inondations. Deux grandes inondations marquent le pays, celle d’automne et celle de la fonte des neiges au printemps avec des hauteurs d’eau importantes pendant plusieurs semaines. Que faire ? Il se trouve qu’une culture peut se semer en Avril/Mai et se récolter avant l’automne. Il s’agit de la culture du sorgho ou du millet, utilisée pour les graines et pour la paille à balais.
La culture du sorgho
Deux espèces ont été utilisées, le genre Sorghum (ou sorgho) et le genre Panicum (ou millet).Le sorgho sert à l’alimentation animale, quant au millet il peut être consommé par l’homme. Les deux fournissent de belles pailles.
Les semis se font au printemps à la main ou avec plus tard des semoirs mécaniques .Un éclaircissage était nécessaire ( l’opération se disait « passar lo meilh »)
Pour l’anecdote un gâteau caderoussien le Millas ou Mias sera élaboré à partir de farine de millet, d’œufs, de sucre, de citron ou de confiture.
La préparation de la paille
Récoltées à l’automne les tiges vont subir différentes opérations. Un premier séchage a lieu sous formes de gerbes (ou garbeirouns ) dans les champs puis le séchage continue dans les greniers.
Le traitement des pailles comporte plusieurs étapes : l’égrenage, l’effeuillage, le soufrage, le triage.
L’égrenage sépare les graines des tiges et des pailles après la récolte. L’égrenoir est constitué par une force cylindrique nommée « pigne » munie de deux branches plates recourbées à leur extrémité, rapprochées et légèrement superposées, pouvant s’écarter pendant la traction latérale des tiges offrant une résistance suffisante pour que les graines tombent des panicules. Il est fixé par une vis et un écrou à une poutre qui permet de travailler debout et de garder toute son énergie pour tirer les pailles. Une énorme poussière résulte de cette opération.
Plus tard des machines (egreneuses ou racleuses) possédant un tambour avec des crochets vont faire l’opération. Cette opération générait beaucoup de poussière.
L’effeuillage ou pelage se faisait principalement à la main pendant l’hiver
Les pailles prêtes sont ensuite mises en fagots et comprimées avec des presses à cliquets avant d’être entreposées.
Le soufrage de la paille est nécessaire pour trois raisons essentielles : pour éviter les moisissures et le noircissement, pour assouplir les tiges et pour accentuer la belle couleur jaune qui constitue un attrait supplémentaire pour la vente.
Le soufrage s’effectue dans un local particulier mitoyen ou séparé dans la propriété de la fabrique, à cause des risques d’incendie. Ce local, petite pièce d’environ 4m2, est appelé le soufroir ou la soufrière. On y entasse des gerbes de paille et des culots de sorgho.
Dans un récipient quelconque – vieux chaudron ou vieille marmite – on brûle des boudins de soufre dont les vapeurs (anhydride sulfureux) se répandent dans l’air du local dont la porte reste fermée hermétiquement pendant 2 ou 3 jours. Le séjour peut se prolonger sur deux semaines selon les besoins.
Le triage, pendant près d’un siècle, se faisait à la main .La paille est triée suivant les longueurs. Une baguette étalon permet un triage rapide. Cette mesure porte des marques différentes qui jalonnent les longueurs utiles pour la fabrication des balais de différentes tailles et de différentes utilisations. Le travail est assuré par des femmes.
Des machines prendront aussi le relais.
Les plus belles pailles viennent d’Italie ou de Hongrie, elles recouvrent souvent les balais de luxe dits « américains ». De moins bon aspect, les pailles du Rhône sont employées pour les balais rustiques ou garnissent l’intérieur du balai. Les pailles garonnaises sont qualifiées de robustes. Celles du Vaucluse sont légères et peu solides. Dans l’ensemble de 1890 à 1950, un marché prospère de la paille nécessite des intermédiaires : peseurs de paille, représentants, courtiers et sous-courtiers. Les fabricants de balais et les marchands de paille s’entendent directement surtout quand il s’agit des producteurs locaux.
Témoignage du dernier baletier de Caderousse, Roger Miales
« Dans le Gard, du côté de Connaux, il s’en faisait beaucoup aussi. Même c’était de la très belle paille.
La paille, il s’en cultivait beaucoup ici. Ça partait de Montélimar jusqu’ici. C’était qu’un travail à la main. Il y avait pas de machines. Fallait le couper à la main, le ramasser à la main, tout faire à la main. Puis après il y a eu de moins en moins de vente, puisque nous on avait moins de boulot et les paysans ont fini par arrêter d’en planter.
On s’approvisionnait sur Caderousse, puis après, quand il y en a plus eu, on s’approvisionnait sur le Maroc, l’Argentine, la Grèce, la Hongrie et où on en trouvait. Là on avait des courtiers qui nous fournissaient. La paille française ça existe plus. C’est comme celui-là à Lapalud, Gilles, il travaille rien qu’avec des pailles d’Argentine, Grèce, Hongrie. Ici tous les balais qui sortaient de Caderousse étaient faits avec la paille cultivée sur Caderousse.
Cette paille, il y avait trois, quatre qualités. On la triait selon la qualité qu’on faisait de balais. Quand on faisait des beaux balais, il fallait qu’on ait de la belle paille.
Madame : J’ai fait des journées entières à trier de la paille, une botte de paille : quatre ou cinq catégories, la couleur, debout devant une table.
Ils ont trouvé une machine maintenant, que ça la trie la paille. La paille coupée étrangère. La paille française elle pouvait pas. Et encore elle trie les longueurs mais pas les couleurs, parce que ça jouait la couleur aussi. Il y en a qui disaient « Moi, je veux du balai bien blanc ». Ça arrivait qu’il y ait des pailles un peu plus sombres, alors on disait : « Attention hein, faut plus que ça se renouvelle. »
Témoignage Roger Miales dernier baletier de Caderousse/1985
Les manches
Plusieurs essences concourent pour l’élaboration des manches avec plus ou moins d’avantages. Le hêtre, le charme, le peuplier s’utilisent dans certaines conditions. La déformation et la rupture dues à la pression pendant le balayage est leur principal défaut même quand ils sont traités à l’étuve.
A Caderousse, le bois choisi spécialement était constitué de branches de saule blanc ( Salix alba (27).
Ces saules étaient plantés le long des roubines et ruisseaux, puis à maturité, donnés en adjudication par la Mairie, à divers fabricants de manches. Ils prenaient en charge un certain nombre de pieds. Cet ensemble variait de façon significative suivant les commandes de manches demandés.
Le saule blanc fréquente en France, les plaines et les vallées où il préfère les sols légers, frais et humides. Cet arbre est fréquemment cultivé au bord des cours d’eau, en oseraie. Son tronc doit présenter une cime ample et formée de nombreux rameaux dressés.
Les rameaux de cet arbre permettaient la fabrication de manches. Les bois étaient tout d’abord dégagés de leur feuillage, puis ils étaient humidifiés, en trempant dans un bassin rempli d’eau durant plusieurs heures.
Ensuite, ils étaient disposés dans un volumineux chaudron où ils chauffaient pendant plusieurs heures, ce qui avait pour effet, de les durcir et leur éviter toute déformation ultérieure.
Enfin, ils étaient apprêtés au tour et se trouvaient alors pratiquement prêts.
Il restait encore, cependant, à former une sorte de tourillon à une des extrémités du manche. La gorge resserrée ainsi créée offrait l’emplacement d’une attache, afin de pouvoir suspendre le balai après utilisation. Cela évitait que les fibres de paille ne viennent à se déformer, si le balai reposait sur elles, et finalement aboutisse à une usure précoce.
L’appareil utilisé pour réaliser cet aménagement du manche a été mis au point et imaginé par un membre de la société « DEYREN, Père et Frères », courtiers en paille à balais et fabricants de manches à CADEROUSSE. Cette société ayant pris naissance très tôt à CADEROUSSE, dès le développement de l’artisanat des « escoubiers ». Diverses cartes de correspondance datées de juin, novembre 1878, ainsi que d’août 1895, sous la signature de fabricants de balais, montrent qu’il était passé d’importantes commandes de manches à balai, à cette société, laquelle en assurait la livraison
La préparation des balais
La monture :
C’est la première opération. Elle consiste à fixer la paille sur le manche et à créer une armature. Cette armature (ou paillon) est faite de grosses tiges de millet ou calos coupées alternées avec des panaches de millet.
L’assemblage des panaches de paille est appelé « manon ». L’ensemble est serré dans une sorte d’étau et fixé par un fil de fer. Au début de l’artisanat baletier, cette opération est faite à l’aide d’un banc muni d’une pince actionnée avec les pieds permettant d’enrouler et de fixer le fil de fer qui sera cloué en fin d’opération. Le dévidoir de fil de fer se trouve devant le banc.
Plus tard on utilisera une machine électrique qui fait tourner le manche et permet d’enrouler le fil de fer autour des tiges de millet.
La couverture :
Une fois la monture réalisée, on va habiller l’extérieur de la monture avec des pailles fines, bien triées que l’on va rabattre vers le bas du balai en les maintenant avec une ficelle pour garder la forme du balai.
Le rognage : Sorte de massicot, la rogneuse permet d’égaliser la longueur des pailles.
Le ficelage ou cordonnage :
Il va permettre de presser les tiges du balai et de garder sa forme plate.
Les premières coutures à la ficelle de chanvre puis de sisal donnaient une présentation grossière. On préféra le cordonnet rouge, bleu, vert ou noir fabriqué à Angers pour des balais plus raffinés. Il faut savoir qu’un kilogramme de ficelle coud environ 300 balais. Le cordonnage (ou couture) à la main offre des balais solides dont les brins ne s’éparpillent pas facilement. Le cordonnage à la machine moins fatigant ne fournit pas un aussi beau résultat. Les coutures peuvent s’effectuer sur une rangée, deux, trois rangées et jusqu’à cinq rangées pour les plus résistants.
Sur certains balais rustiques, on a employé aussi l’osier ou amarine.
On utilise simplement au début une longue aiguille qui sera poussée entre les pailles à l’aide d’une manique en cuir pour protéger la main.
On utilisera en premier une longue pince qui va enserrer les tiges et les maintenir serrées avant ficelage.
Plus tard on invente un étau qui permet de maintenir le balai et son manche droit pour le ficeler.
Des machines plus perfectionnées seront ensuite utilisées. La cordonneuse mécanique « Crapuchet » du nom de son inventeur, maintient le balai placé verticalement et latéralement dans un étau actionné par une pédale pendant que deux aiguilles, une dessus et l’autre dessous passent la corde dans la paille. La Crapuchet fabriquée à Casseneuil dans le Lot et Garonne et la « Costan » à Orange n’offrent pas beaucoup de différence. La « Mortimer » vient de Baltimore et a subi les étapes techniques de la modernisation. Elle est mue par l’électricité.
De la fabrique à la commercialisation
Vers 1850, prédomine l’artisanat. Les premiers ateliers à balais comme les derniers, ceux de 1998, ressemblent à s’y méprendre à n’importe quel petit commerce local. L’artisan en balais vit sur son lieu de travail, il n’y a pas de séparation entre sa vie privée et son enseigne sociale. Il incorpore sa famille à son activité professionnelle. Mais vers 1875-1880, les progrès du machinisme (ici modéré) aboutissent, avec la prospérité économique, à une « concentration industrielle » des usines à balais, avec des rendements exceptionnels qui augmentent encore après 1918. On passe de l’artisanat à la spécialisation de la tâche en usine, les ouvriers sont monteurs, livreurs, les ouvrières trieuses ou couturières. Il y a un ou plusieurs contremaîtres et un patron propriétaire et responsable de son atelier, qui donne un « coup de main », dans la nécessité. L’originalité des fabriques de balais – grandes ou petites – consiste en la persistance du modèle paternaliste et individualiste.
Parmi les divers modèles qui oscillent entre l’entreprise patriarcale autoritaire qui absorbe l’énergie et le travail des ouvriers et l’autogestion qui leur donne toutes sortes de responsabilités, l’industrie du balai ne réussit jamais à se détacher du premier modèle avec quelques modifications.
Quatre formes d’ateliers ont existé :
– la fabrique individuelle ou artisanale avec l’assistance de la famille,
– l’alliance de deux familles unies dans la marche de l’entreprise, s’adjoignant un ou deux ouvriers,
– l’atelier semi-industriel avec un patron et plusieurs ouvriers,
– La société anonyme à capital déclaré de type coopératif.
Les principales fabriques de la basse vallée du Rhône se trouvent à Lapalud, Orange, Courthezon. ,et surtout Caderousse .
A Caderousse ce sont plusieurs dizaines de fabriques qui exercent l’activité. Il n’y a pas une famille qui ne compte dans ses membres des ouvriers ou ouvrières travaillant dans les balais. Les recensements fin XIXe et début XXe à Caderousse dénombrent des centaines de baletiers. En 1891 on aura même la création d’une chambre syndicale de l’union balaitière.
La fabrique la plus importante sur Caderousse sera probablement la fabrique Perrin située rue St Michel (aujourd’hui transformée en chambres d’hôtes « La Buissière »)
Certaines grandes fabriques éditent même des catalogues avec des dizaines de modèles.
Les étiquettes
Toutes les fabriques ont leurs étiquettes qu’elles adaptent en fonction des clients.
Les affiches et les étiquettes à balais collées sur le manche constituent l’essentiel de la publicité des fabricants de balais avec les enveloppes, les factures et le papier à lettres à en-tête illustrés. Quelques cartes avec le nom de l’entreprise et celui du propriétaire complètent la panoplie de l’invite à la consommation. L’observation de l’imagerie et des slogans publicitaires inclus dans les étiquettes permet de distinguer plusieurs symboles souvent renforcés dans leur sens par la couleur de fond : bleu, rouge, vert et plus rarement violet comme à Castelnaudary.
Quelques indications :
Le taureau est signe de robustesse et de force.
Le siamois est choisi pour sa beauté et sa finesse.
L’étoile diffuse un message de lumière, d’ordre et de bienfaisance.
La lune ou le croissant de lune symbolise la ménagère et la prospérité.
Le soleil représente la force vitale, la lumière, la victoire contre la saleté.
Sirius l’étoile la plus brillante du ciel, rappelle le balai le plus performant…
Le tambour-major annonce-t-il le grand nettoyage ?
Le troubadour est moins énergique dans sa représentation que le tambour-major mais plus esthétique et bien régional.
Le sultan s’apparente-t-il à l’honneur, la grandeur et l’autorité qui commande et qui soumet la poussière ?
Le faisan doit être compris dans la forme populaire du phénix.
Le coq d’or combat la poussière ; ici dans le contexte des balais il évoque la couleur des pailles et il est précieux.
L’abeille au rôle très important depuis la nuit des temps apporte l’ordre, la propreté et l’ardeur au travail avec une connotation de jeunesse et d’éternité.
Le chien signifie confiance et dévouement – compagnon de St Hubert et des chasseurs (de poussière ?).
Le cor de chasse vient en renforcement du chien pour évoquer la chasse (aux déchets ?) ou faire plaisir aux chasseurs de gibier.
L’as, c’est le plus fort.
Le fer à cheval incarne la protection due à sa forme et à son appartenance à un animal mythique à la fois vif, fort et résistant.
Des formules lapidaires invitent à l’achat en promettant le bonheur, la durée, la réussite, l’exception : le sans-pareil, le bonheur de la ménagère et du foyer, le meilleur, le champion ! Le balai est l’avenir de la femme ! Super et extra renforcé ! le vaillant !,l‘étendard !le sphynx ! le taureau ! l’as des boers !
Ces étiquettes ont une fonction emblématique. Elles désignent la fabrique comme autrefois le blason familial des Chevaliers du Moyen-Age. Elles permettent une reconnaissance facile dans la joute commerciale.
Des tampons d’imprimerie étaient spécialement fabriqués pour ces étiquettes.
Il existe même des diplomes récompensant les meilleurs ouvriers.