Les inondations du Rhône à Caderousse
D’après Paul Marquion
Caderousse est très probablement le village de la vallée du Rhône où les crues du Rhône s’étendent sur la plus grande superficie. En cas d’inondation quelque peu importante, seul le territoire avec les quelques fermes qui bordent la route d’Orange, à plus d’un kilomètre du village, se trouve à l’abri des eaux. Tout le reste du pays se trouve submergé. Caderousse doit cet envahissement à la platitude de son sol d’où n’émerge aucune éminence. Mais cette platitude a un avantage : c’est que les eaux ont de l’espace pour s’étendre, qu’il n’existe aucun goulot d’étranglement et que, de ce fait, les inondations n’ont pas ce caractère catastrophique que l’on rencontre dans certaines régions, où des rivières encaissées emportent tout sur leur passage en cas de crue subite.
La tradition a conservé le souvenir des crues les plus importantes et une série de plaques apposées près de la porte d’entrée de la Mairie indique les niveaux atteints par quelques grandes inondations. La plus catastrophique sans doute remonte à l’année 1471 où quatre vingts maisons furent emportées.
Et pourtant à cette époque, le village de Caderousse se trouvait, d’après toutes les anciennes chroniques, à une demi-lieue du Rhône : plus précisément, puisque Caderousse n’a pas changé d’emplacement , le Rhône passait à deux kilomètres du village et n’avait qu’un bras, autrement dit, le petit bras du Rhône n’existait pas. M.Jean PERRAT ( 1518-1567), dans sa « Chronique d’un notaire d’ORANGE » note qu’en Octobre 1559 « Le Rhône versa jusques à CADEROUSSE » et il note un peu plus tard un débordement du Rhône « jusqu’aux portes de Caderousse », preuve qu’à cette époque le Rhône passait encore loin du village. Il est d’ailleurs assez difficile de savoir le cours que suivait le Rhône aux temps anciens et ce cours a dû varier. Des noms de quartiers tels que « les Islons », « L’Islon Blanc » qui sont aujourd’hui rattachés à la terre ferme, indiquent qu’autrefois ils étaient entourés par le Rhône.
Dans une étude publiée en 1656, M.Patrice Rollet, originaire de Caderousse et avocat à Orange, nous apprend que vers le milieu du XVIème siècle, dans le Rhône qui n’avait toujours qu’un seul bras et passait toujours loin de Caderousse, quelques graviers se formèrent. Ils appartenaient de droit au Roi de France. Mais les Ducs de Caderousse s’en emparèrent, les plantèrent et les conservèrent, malgré de nombreux procès qui leur furent intentés. Il se forma ainsi dans le lit du fleuve un chapelet d’îlots :îles de Cadenet, de Codolet, de Panier, de la Berlhie, de Gadargues et de Capefort qui, d’après un relevé détaillé datant de 1559, contenaient seulement 572 salmées. Ces différents îlots étaient protégés par des digues et des bois taillis, ce qui avait pour résultat de favoriser l’alluvionnement, donc d’accroître à chaque crue leur superficie et, ce qui était plus grave, de détourner le cours du Rhône. Et c’est ainsi qu’en 1750, la superficie des îles était progressivement passée à 2000 salmées gagnées au détriment du territoire de Caderousse, pour le plus grand profit de ses ducs et que le Rhône, détourné de son cours, se trouvait rejeté sur Caderousse dont il venait raser les murailles. Ce n’est qu’en 1639 qu’est mentionnée l’île minuscule, de la Piboulette, jusqu’alors inconnue. Or cette dernière venue des îles finira par donner son nom à l’ensemble des anciennes îles qui se seront soudées ensemble, à l’exception de l’île du Colombier formée au XVIII ème siècle, qui en restera séparée.
Dans sa Supplique, adressée à l’Empereur Napoléon III, qui, à la suite de la terrible inondation de 1856, était venu à Orange se rendre compte des dégâts, M. Léon ROCHE , Maire de Caderousse et Conseiller Général, fait 1’historique de ces empiétements successifs des Ducs de Caderousse et attribue les malheurs du village à la construction des digues élevées dans les îles. Voici ce qu’il en dit, dans le style grandiloquent de l’époque :
Veui11ez, Sire, jeter un coup d’oeil sur la carte de ces îles fatales et quand vous aurez vu les travaux offensifs du Colombier, de la Berlhie et de la Piboulette, braqués contre nous avec un désolant ensemble, vous reconnaîtrez la véritable cause de notre ruine.
Veuillez surtout remarquer la levée de la Piboulette. Elle prend naissance à trois kilomètres à l’amont de Caderousse : sa direction commence par être transversale au cours du fleuve, comme pour retenir, amonceler les eaux majeures des deux bras, contenues du côté du Gard par une rive insubmersible; puis devenant longitudinale et suivant la rive droite du bras de Caderousse, elle est là pour conduire et pousser contre notre vi1le la masse du fleuve débordé.
C’est par l’effet incontestable de cette digue que Caderousse a été envahie par les eaux en 1827, en 1840 et en 1856.
Les levées des îles, construites et administrées, depuis leur origine, par des propriétaires opulents, ont présenté de tout temps un luxe de solidité qui contraste avec la faiblesse des travaux de notre rive morcelée dont la défense a manqué de suite et d’unité. Aujourd’hui, il est vrai, les levées de Caderousse sont entretenues par un syndicat; mais quand l’association relève ses digues, les propriétaires de l’autre bord relèvent encore plus 1es leurs, de sorte que nos dépenses ne servent point à conjurer le danger.
Les digues des îles sont d’ailleurs placées au milieu de bois taillis qui, s’exhaussant de sable et de limon, leur forment des approches inexpugnables. Ces bois s’adjoignent à chaque crue de nouve1les alluvions et resserrent incessamment le lit du fleuve. Avec cela les bords des îles sont protégés par des digues de rive et, au besoin, par des plantations et des épis avancés qui dirigent les eaux contre nous. Ainsi défendues de pied en cap, les îles restent impénétrables aux courants des eaux majeures qui, ne pouvant être contenues dans le bras de Caderousse sans cesse réduit entament forcément le continent de cette commune.
Viennent donc les cataclysmes les plus formidables, les îles ducales n’ont rien à craindre et leurs propriétaires peuvent attendre de nouvelles conquêtes, au détriment de notre pauvre territoire.
Oui, Sire, le restant de notre plaine et notre ville elle-même finiront par être engloutis, si votre gouvernement, par une décision juste et énergique, n ‘ordonne la démolition des levées des îles de la famille de Monsieur le Duc de Gramont.
Mais les digues des îles n’ont jamais été abattues !.
Ainsi qu’il ressort de cette Supplique, Caderousse était, et est encore protégée contre les inondations par un double système de digues (levado, en provençal) ; le première qui longe le Rhône en amont et en aval du village, la deuxième qui entoure complètement le village.
La première digue était en terre et était loin d’être insubmersible. Aujourd’hui encore, lorsque la crue atteint le niveau de 5m.80 au dessus de l’étiage, le Rhône franchit les digues et inonde le territoire A vrai dire, c’est là un mal supporté avec un certain fatalisme par les habitants comme étant inévitable.
On peut faire à ce sujet certaines constatations assez curieuses. Il semblerait normal que les habitants, depuis que les inondations existent, c’est-à-dire depuis toujours, aient songé à construire leurs fermes (granjo en provençal) en surélévation pour les mettre à l’abri des eaux.
Or, il n’en est rien: les granges sont construites à ras du sol et on compterait sur les dix doigts de la main, les fermes construites sur un léger monticule qui les met à l’abri des inondations. Nous dirons cependant qu’à l’heure actuelle, lorsqu’un propriétaire fait bâtir ou aménager sa maison, il se préoccupe d’établir le rez-de-chaussée au dessus du niveau des eaux d’inondation. Mais la majorité des fermes restent encore inondées. Que se passe-t-il en cas de crue ? Tout simplement, on évacue le rez-de-chaussée et on se transporte, gens, bêtes et meubles au premier étage.
Dans l’architecture des granges, on conçoit donc que les escaliers jouent un grand rôle. Effectivement, l’escalier, dans chaque grange se trouve presque toujours en face de le porte d’entrée et s’élève, large et rectiligne, sur toute la largeur de l’édifice, jusqu’au premier étage. On peut ainsi rapidement et assez commodément déménager les quelques meubles de la cuisine jusqu’aux chambres du premier. Un deuxième accès au premier étage est, dans toutes les granges, aménagé à l’extérieur, sur la face nord en général. C’est une sorte de plan incliné, en pente douce, appuyé contre le mur appelé en provençal « recàti ». C’est par ce plan qu’on hisse les animaux, chevaux, cochons, volailles au premier. De nos jours, le mécanisation et les conditions de la vie paysanne ont simplifié le problème. Le nombre de chevaux diminue de plus en plus et tout ce qui est autos, camions, tracteurs peut être rapidement conduit et garé en dehors de la zone des inondations. De plus, les récoltes, grâce au système des coopératives, sont vendues dès leur ramassage et il n’est plus besoin de les engranger comme autrefois dans les greniers et « fenières » pour les mettre à l’abri des eaux, d’autant plus que certaines récoltes, dont 1’engrangement demandait de vastes locaux, tendent à disparaître, comme le fourrage par suite de la diminution des chevaux et le millet par suite de la réduction de la fabrication baletière qui fut longtemps l’industrie florissante du village.
Le premier étage des granges comprend donc, par suite de ces nécessités, de vastes greniers et « fenières » et bien entendu, les chambres. L’idée ne viendrait pas à un habitant de Caderousse d’installer au rez-de-chaussée une chambre dont le mobilier encombrant : lit, garde-robe, commode avec tout leur contenu, serait trop difficile à déménager.
Ainsi quand la menace d’inondation se précise, dans chaque grange, on évacue et on déménage le rez-de-chaussée et on s’installe au premier étage avec tout ce qu’on a réuni de provisions pour vivre, y compris l’eau potable, car en période d’inondation, si paradoxal que cela puisse paraître, c’est l’eau qui manque le plus, puits et pompes étant submergés. On laisse grandes ouvertes portes et fenêtres pour que l’eau puisse pénétrer à l’intérieur sans rien fracturer; on met à l’eau le bateau (le barquet) que chaque grange possède et …on attend. Lorsque les eaux se retirent, on recommence l’opération en sens inverse. On devine dans quel état se trouve le rez-de-chaussée: murs imprégnés d’eau, sol recouvert de limon {la limo): cela fait aussi partie du programme.
En période d’inondation, le village de Caderousse se trouve complètement isolé du reste du monde et cela présente un gros inconvénient surtout pour le ravitaillement de la population. Aussi, entre les deux guerres pensa-t-on à surélever la route d’Orange. Mais là où il aurait fallu construire une sorte de pont insubmersible avec arches, on se contenta d’exhausser la route avec remblais maçonnés, autrement dit une sorte de digue. Et, à la première inondation, on s’aperçut que cette digue retenait les eaux, les ponceaux qui avaient été aménagés n’étant ni assez nombreux ni assez larges pour leur évacuation. Depuis, on a augmenté leur nombre et surtout leur 1argeur, mais la route est recouverte par les eaux en cas d’inondation et si le Dodge des pompiers de Caderousse arrive, avec beaucoup de précautions à passer, il vient un moment où le passage devient impossible et force est d’avoir recours aux bateaux. Le ravitaillement, comme aussi les tournées du facteur, du docteur, etc. se font en barques : grosses barques à moteur pour les besoins généraux, barquets individuels, maniés à la rame et plus ordinairement à la gaffe (partego) pour le ravitaillement des fermes. Au cours de la dernière inondation, Match a reproduit les images d’un enterrement en barque. Nous ajouterons que le cimetière étant lui-même inondé, l’inhumation ne put avoir lieu et qu’en attendant le retrait des eaux le cercueil fut provisoirement déposé sur l’autel de la chapelle du cimetière.
Sur un plan général, des mesures spéciales sont prises. On ferme les vannes, ce qui se dit « mettre les martelières ».Tous les ruisseaux (les mayres) qui se jettent dans le Rhône sur le territoire du village, passent sous la digue par des conduites forcées fermées par des vannes. Pour empêcher les eaux d’inondation de refluer à l’intérieur des terres, on commence donc par abaisser les vannes.
De plus, Quand le Rhône atteint un certain niveau, on « met le bastardèu ». Qu’est-ce à dire ? les digues de ceinture sont à un niveau uniforme qui se trouve à 5m.80 au dessus de l’étiage. Or, en un seul point, au sud du village, la route qui conduit au Rhône se trouve à un niveau inférieur à celui des digues. Mettre le « bastardèu » consiste à rétablir le niveau à ce passage étroit. Pour ce faire on construit une digue : le fameux « bastardeu ». Initialement, ce bâtardeau était construit en terre, puis avec sacs de terre. Mais ce léger ouvrage, après avoir rempli sa mission, était régulièrement emporté et les eaux déferlaient sur la route qui en général s’en trouvait ravinée. Or en période d’inondation le bastardèu est, si l’on peut dire, la grande distraction qui attire la foule des curieux : chacun sait que si le Rhône continue à grossir, le bastardèu sera fatalement emporté et on ne veut pas rater ce spectacle. On a pu voir – c’est du moins ce que disent les mauvaises langues- certains impatients aider quelque peu à précipiter la catastrophe en enfonçant par exemple un bâton dans la terre imprégnée d’eau jusqu’à ce qu’elle cède. « Lou bastardèu a péta ». Et dès lors tout intérêt cesse et chacun se retire satisfait. Depuis quelques années on a renforcé le bastardèu en construisant de part et d’autre de la route deux murettes ; il suffit alors de combler l’intervalle entre ces deux murettes, ce qui se fait par le même procédé que pour les deux portails du village. Dès lors, l’eau passe par dessus le bastardèu, mais ne l’emporte plus.
Depuis 2011 un nouveau système de bastardeu plus léger avec vérins a été mis en place.
Ainsi les digues protègent efficacement le territoire jusqu’à un certain niveau de l’inondation ; lorsque ce niveau est atteint, les eaux commencent à couler tout le long des digues et tout va pour le mieux. Mais il y a un danger et ce danger est redouté. Il arrive que les digues cèdent en un certain point : il se produit alors une brèche qui s’élargit de plus en plus. Ce sont en général les animaux à terriers qui, en creusant des galeries dans les digues, sont à l’origine de ces brèches. Et dès lors, l’eau se précipite à torrents et emporte tout sur son passage. En 1856, plusieurs granges situées en bordure des digues furent emportées. En 1919 ce fut le sort de trois autres. Alors patiemment quand les eaux se sont retirées, on comble les brèches et on rétablit la digue, plus solide qu’auparavant avec revêtement de maçonnerie ou de béton.
Il faut certes être du pays pour supporter les inconvénients des inondations et combien de fois a-t-on entendu dire par les « étrangers » : « jamais je ne pourrai vivre dans un pareil pays ». Les habitants en ont l’habitude et les inondations font partie de la vie locale et n’en sont qu’un accident, on pourrait même dire un incident. Les habitants d’ailleurs savent en apprécier un bienfait : l’apport d’alluvions fertiles que les eaux boueuses déposent à chaque inondation et, d’après l’opinion courante, chaque inondation remplace avantageusement une couche de fumier ou un épandage d’engrais. A notre époque d’informations rapides et spectaculaires, les journaux de France et même de l’étranger reproduisent les photos de la crue avec commentaires et le maire du village reçoit bien souvent des lettres apitoyées de personnes qui compatissent au malheureux sort des inondés, sort que les inondés acceptent pourtant avec philosophie.
Venons-en maintenant à la digue qui entoure et protège le village, plus précisément l’agglomération.
On ne peut affirmer, quoi qu’en dise l’abbé Berbiguier, auteur d’un mémoire historique daté de 1802, que Caderousse ait été primitivement entouré de digues ou de remparts. Ce qui est certain, c’est que vers le milieu du XIVème siècle, un rescrit du Pape Innocent VI prescrit de fortifier toutes les villes et châteaux du Comtat pour les mettre à l’abri des convoitises étrangères. Caderousse s’entoure alors d’une ceinture de remparts qui l’enserre étroitement. Alors que dans beaucoup d’autres villages, ces remparts avec leurs portes subsistent encore, à Caderousse il n’en reste plus que quelques vestiges encore visibles au Nord et au Sud de l’agglomération ; aux quartiers de Vénasque et de Médecin. Ces remparts à Caderousse, outre leur utilité d’enceinte fortifiée avaient l’avantage de servir de digues contre les inondations. Ils étaient d’ailleurs doublés, vers l’extérieur d’une deuxième digue, en terre celle-là, que les crues renversaient régulièrement.
Au début du XIXème siècle, les remparts avaient perdu toute utilité militaire : la seule préoccupation devenait donc de se défendre contre les débordements, réels ceux-là, du Rhône et pour cela, il apparut qu’une seule digue solide était préférable à deux ouvrages vétustes qui, d’ailleurs, ne remplissaient qu’imparfaitement leur objet : le vieux rempart, onéreux à entretenir, gêne pour les habitants plus que protection et la digue en terre qui manquait d’élévation et de solidité. Il fallait sacrifier l’un ou l’autre et autant que possible l’un au profit de l’autre. On se décida à sacrifier le rempart. Vers les années 1820, le rempart fut donc progressivement démoli, ainsi que les deux portes de Place et de Castellan, et les pierres en furent vendues. Les habitants n’avaient d’ailleurs pas attendu cette décision pour se servir largement de ces pierres pour leurs usages personnels. A vrai dire, le rempart tombait en ruine et ces ruines encombraient l’étroit passage ménagé entre la muraille et les maisons. Quant aux décombres, ils furent utilisés pour relever et consolider la digue.
Le maire de l’époque, sous l’administration duquel on procéda à cette démolition, M. Chandron, a laissé un mauvais souvenir avec le surnom de Manjo-Bàrri (mange-remparts). Pourtant l’idée était juste. On peut regretter seulement qu’une partie des remparts et au moins une porte n’aient pas été conservées. Il est vrai qu’à cette époque, les considérations archéologiques et touristiques étaient de peu de poids dans les décisions des édiles.
Mais la digue en terre, consolidée avec les décombres des remparts, n’offraient encore qu’une bien fragile protection. Et, à cette époque, en mai 1856, se produisit justement la plus forte inondation que l’on ait jamais enregistrée. Elle emporta non seulement une partie de la digue qui longeait le Rhône, mais la digue qui entourait le village et les eaux déferlèrent dans l’agglomération, s’élevant au dessus de la hauteur des premiers étages. Il faut croire qu’à quelque chose malheur est bon, puisque ce désastre sans précédent fut à l’origine, sous l’impulsion de M. Léon Roche, de cette imposante digue maçonnées qui entoure aujourd’hui Caderousse et qui, depuis 110 ans, a défié victorieusement tous les débordements du Rhône. Cette digue, comme les anciens remparts et aux mêmes emplacements, est percée de deux portes qu’on obstrue en période d’inondation et qui ont conservé les anciens noms : portail de Castellan et portail de Place (ce dernier ayant été baptisé récemment, et c’était justice, porte Léon Roche, en souvenir du maire bâtisseur).
Et pourtant les remparts, pas plus que la digue de 1856, n’avaient jamais empêché les eaux d’infiltration de pénétrer dans l’enceinte, inondant les bas quartiers et transformant les rues en canaux. Une série de photos, prises au cours de l’inondation de 1910 et que nous avons la bonne fortune de posséder, conserve le souvenir, pittoresque peut-être, mais désolant quand même, d’un Caderousse transformé en Venise avec ses gondoles au milieu des rues. Or, en 1910, un entrepreneur de battages de Caderousse, un précurseur, car à cette époque les battages se faisaient au plus souvent au rouleau sur l’aire, eut l’idée d’essayer d’évacuer les eaux d’infiltration au moyen d’une pompe aspirante et foulante qu’il actionna avec la locomotive de sa batteuse. Si cette pompe de fortune n’avait pas un débit suffisant pour évacuer toutes les eaux, l’expérience fut quand même concluante. Une photographie en carte postale montre cette pompe en action, plus précisément le tuyau qui déverse les eaux par-dessus la digue en un jet assez puissant. L’idée fut retenue. Et en 1912, un puissant groupe de pompage actionné par un moteur électrique de 18 chevaux fut installé au quartier de Médecin pour évacuer les eaux d’infiltration comme aussi les eaux de pluie et les eaux polluées qui n’avaient plus d’écoulement et qui constituaient un danger au point de vue de l’hygiène.
C’est en mai 1913, sous l’administration de M. Camille Roche, Maire, qu’eut lieu l’inauguration de cette pompe… en grande pompe ! Car elle s’accompagna de la remise de la Médaille commémorative aux anciens combattants de la guerre de Septante et leur groupe était fort nombreux. Les anciens se souviennent de cette journée mémorable où Caderousse accueillit les autorités civiles et militaires d’Orange venues présider les cérémonies et connut, au milieu de défilés, de banquets et de réjouissances de toutes sortes une extraordinaire animation.
Ce groupe de pompage s’avéra, au cours des inondations qui suivirent, d’une réelle efficacité et les habitants de Caderousse purent circuler dans les rues autrement qu’en bateau ou sur des passerelles. Mais il présentait un inconvénient, celui d’être branché sur le réseau électrique de la commune qui par suite de sa vétusté et de son usure, ne présentait pas un caractère suffisant de sécurité. Qu’une panne survînt à la pompe ou sur le réseau, c’était dans un court laps de temps, l’inondation dans le village.
Dès la Libération et après l’inondation de 1944, la Municipalité se préoccupa de la question et demanda d’une part l’installation d’un moteur auxiliaire pour l’amorçage de la pompe qui jusqu’alors se faisait au moyen d’une pompe à main et nécessitait pas moins d’un mètre cube d’eau et d’autre part et surtout, l’installation d’une ligne électrique directe à haute tension.
Et c’est ainsi que, dans le local agrandi pour la circonstance, a été installée une deuxième pompe moderne avec entraînement normal, normal par l’électricité et entraînement de secours par moteur à essence. Tout risque d’invasion des eaux se trouve ainsi écarté.
« Le Rhône m’a fait beaucoup de misères mais je l’aime beaucoup » Camille Nogier dans la mémoire du Rhône
Pour finir avec un peu d’humour, on rappellera que pendant les inondations, les lapins n’apprenaient pas à nager et qu’ils se réfugiaient dans les arbres, ou les habitants venaient les cueillir !!